Édito, Saison 2024-2025
Cher public,
Cette saison célèbre la diversité des expressions artistiques. La place est laissée aux corps, aux mots, aux langues, à la pluralité des récits.
Les spectacles célèbrent la richesse de la différence, en appellent à notre humanité face à la violence du monde. Certains artistes s’inspirent d’événements qui ont marqué notre histoire pour mieux en explorer les lignes de fuite, pour en proposer de nouvelles interprétations, des récits prospectifs. Ce sont les techniques du « re-enactment » et du « pré-enactment » : refaire, rejouer pour (ne pas) répéter l’histoire, et dans certains cas renaître. C’est certainement une part vertueuse de la construction de cette nouvelle saison, mêlant pratiques artistiques et curatoriales, pour faire surgir de l’à venir.
Ce n’est pas la politique qui change une époque, mais l’art.
Il y a les spectacles qui transforment les récits intimes en histoires universelles (Peuple de l’eau, Lacrima, La vie secrète des vieux), ceux qui racontent les passions incandescentes, l’amour perdu, le chagrin des départs (Sur l’autre rive, Bérénice), les scènes de la vie de couple en temps de confinement (Together), les doutes et les élans de la jeunesse d’aujourd’hui (Tragédie), les spectacles entre fiction et documentaire qui, après une descente aux enfers, nous livrent des signes d’espérance (Los días afuera / Les Jours dehors). Il y a les récits où les étendues traversées par des femmes et des hommes remarquables, entrent en résonance avec une forme de quête intérieure (Poste restante, Sur le chemin des glaces). Il y a ces récits où il est question de croyances, de monstres et de mondes invisibles (Madame l’aventure).
Il y a les jeux du cirque avec les virtuoses du porté acrobatique (Le Pas du monde), les virtuoses de la transformation (Vers les métamorphoses), celles et ceux qui interrogent les féminités, les masculinités plurielles. Il y a les corps sauvages, qui fendent les armures pour s’ouvrir au sensible et se reconnecter à leurs propres affects (Cuir, Armour). Il y a le cirque des mots avec cette conversation sur le fil, entre un fils et son père, sous les étoiles (Tombouctou). Quand les danses s’en mêlent, les corps portent haut l’esprit du collectif (Témoin), explorent nos folklores communs (R·onde·s), avec une vitalité rageuse et une sensualité affirmée (Bate Fado, A Folia, Static Shot). Entre portrait dansé et poème gestuel, les corps nous emmènent en territoires inconnus (En son lieu), là où de nouvelles matières sont à l’œuvre (Delirium).
Les formations et ensembles musicaux très présents cette saison, viennent magnifier ces chemins : l’Orchestre National de France, premier orchestre symphonique de France, le Trio Pantoum qui s’impose comme l’une des meilleures jeunes formations chambristes actuelles, l’Ensemble intercontemporain, figure de proue de la musique contemporaine européenne, l’Ensemble Il Caravaggio qui réinterroge les formats traditionnels du concert et de l’opéra, mais également l’Arpeggiata, un ensemble passé maître dans l’art de mêler répertoire savant et traditions populaires.
Des rendez-vous sont pris avec la force et la créativité d’une génération d’artistes que j’ai eu la chance de rencontrer à Kigali (Rwanda) en février 2024, trente ans après le génocide des Tutsis au Rwanda (Génération 25, Umuko, Hewa Rwanda). C’est un grand honneur de pouvoir accueillir ces artistes sur les scènes de TANDEM ; par la danse, la musique et le théâtre, ils surmontent les traumatismes du passé, honorent la mémoire des disparus.
Et puis il y a cet immense plaisir d’ouvrir les espaces de TANDEM aux arts visuels dans le cadre du projet CURA : commissariat d’exposition d’arts visuels dans douze scènes nationales, en partenariat avec la Direction générale de la création artistique et le Centre national des arts plastiques.
Sur chacune des saisons précédentes, en dehors de la programmation de notre salle de cinéma Art et Essai, des artistes sont venus présenter des formes hybrides intégrant les arts visuels. Ces artistes en ont fait d’étonnantes démonstrations : Cécile Léna, Phia Ménard, Miet Warlop, Johann Le Guillerm et beaucoup d’autres…
Sur cette saison, la présence renforcée des arts visuels intègre des installations, des pratiques de la performance, l’utilisation de la vidéo, de la photographie, du design ou de la mode. Ces présences favorisent de nouvelles temporalités, de nouveaux formats et des rencontres inédites. Elles s’adressent à toutes et tous, y compris aux personnes peu habituées des arts visuels et de l’art contemporain.
Le curateur qui a élaboré ce flamboyant parcours s’appelle Mehdi Brit.
Il a invité une constellation d’artistes visuels à s’emparer des six plateaux et du cinéma de TANDEM. Il a imaginé un récit en quatre actes : un premier chapitre en novembre 2024, sur Douai ; un deuxième actes en mars 2025, sur Arras ; un troisième et un quatrième actes en juin 2025, à Arras et Douai. Par la parole, le corps et l’image, par des écritures à fleur de peau, ces artistes visuels donnent naissance à des fresques humaines. Les thèmes de l’exil, du dépassement, du désenchantement, de l’amour, sont successivement mis en exergue.
La philosophe Fabienne Brugère accompagne les temps forts de cette œuvre curatoriale, par des rencontres et des tables-rondes.
Résurgence d’autoritarisme, de populisme politique et de xénophobie, guerres, conflits, crises sanitaires et environnementales, bouleversent notre monde. Nous assistons à une réduction sans précédent des moyens destinés au travail des équipes artistiques, à la production ou à la diffusion de leurs spectacles ; les compagnies disparaissent. Ce qui fait toute la richesse du théâtre public de notre pays est menacé. Dans ce contexte de désarroi, les poses sur tapis rouges ne font plus oublier les tempêtes et les ébranlements du monde. C’est l’interdépendance des domaines de l’art, de la politique et du monde social qui doit être interrogée. De quelle société souhaitons-nous être les acteurs ?
Diversité raciale, ethnique, physique, sociale ou culturelle, diversité de connaissances, de perceptions, d’expériences, de sensibilités, la diversité est une force et une immense richesse. Nous appartenons à un même groupe humain, celui des 8 milliards d’êtres humains.
Recueillir nos histoires, persévérer, voir, ressentir, faire des expériences immédiates de la poésie, ne pas renoncer, retrouver des horizons de vie et de beauté communes ; que la succession de rencontres de cette saison fasse « parcours » pour toutes et tous. C’est à un partage d’expériences et d’émotions que l’équipe de TANDEM et moi-même, avons le plaisir de vous convier.
Gilbert Langlois,
directeur de TANDEM scène nationale